Un article tiré du journal
La Croix d'aujourd'hui, écrit par Paola Pinto Gomes :
«Un enfant si je veux et quand je veux !» Jamais le
slogan féministe des années 1970 n’a semblé autant d’actualité.
Amorcé il y a une vingtaine d’années, le phénomène des
grossesses dites tardives prend de l’ampleur. S’il existe
encore des mères de familles nombreuses qui accueillent un petit
tardillon, de plus en plus de femmes, notamment dans les classes
moyennes supérieures, retardent volontairement l’arrivée du
premier enfant.
Un choix délibéré, en apparence seulement. Car cette décision,
même réfléchie et assumée, n’en découle pas moins d’une
pression sociale très forte, analyse Myriam Szejer, pédopsychiatre
et psychanalyste, fondatrice de l’association La Cause des bébés :
«Aujourd’hui, la société pousse les femmes à retarder de
plus en plus le moment de la maternité. Il est politiquement correct
d’attendre d’avoir ses diplômes, d’avoir assuré sa carrière,
d’acquérir son logement, etc., avant d’envisager d’être
parent.»
L’âge moyen de la première grossesse n’a cessé de reculer
ces dernières décennies, en raison aussi de l’augmentation de
l’espérance de vie, aujourd’hui de 84 ans pour les femmes.
Autant dire qu’à 40 ans, celles-ci se sentent encore jeunes et en
pleine forme. Après avoir profité d’une vie sans enfants et mené
leur carrière professionnelle, certaines se disent enfin prêtes à
devenir mères et à s’engager dans un «projet» parental. «Depuis
l’avènement de la contraception, l’enfant est de fait envisagé
comme un “projet” par le couple, explique Marc Bessin, auteur
d’une étude sur la parentalité tardive. Ce qui contribue à
retarder la maternité puisqu’il faut harmoniser et synchroniser
les deux calendriers.»
Or, le bon moment pour l’un ne l’est pas toujours pour
l’autre. «Le désir d’enfant chez les hommes est souvent
décalé de quatre à cinq ans par rapport à celui des femmes»,
constate le professeur François Olivennes, gynécologue-obstétricien,
spécialiste de l’infertilité. Au-delà de leur épanouissement
personnel, devenu une exigence de notre société individualiste, les
femmes doivent donc attendre que l’homme de leur vie accepte
d’avoir un enfant. Ce qui peut reporter la décision jusqu’au
moment où l’horloge biologique de la femme sonne les 40 ans.
Une deuxième union «remet souvent en jeu le
désir d'enfant»
Il y a celles qui attendent. Et celles qui, après une séparation,
se remettent en couple, avec à nouveau un désir d’enfant : en
2008, 25% des naissances chez les mères de 40 à 44 ans étaient
issues d’une nouvelle union, contre 10% vingt ans plus tôt (1).
Une deuxième union «remet souvent en jeu ce désir avec une
vigueur toute juvénile», confirme Myriam Szejer. Un bébé
semble donner du sens à sa vie, à l’heure où pointe la crise de
la quarantaine. Devenir mère à l’âge où d’autres sont déjà
grands-mères permet aussi aux femmes de ne pas «trop souffrir de
la perte de leur fertilité puisqu’elles l’ont utilisée jusqu’au
bout», ajoute la psychanalyste.
Un enfant après 40 ans, c’est parfois aussi le fruit d’un
parcours du combattant pour les couples confrontés à l’infertilité.
Mais si les progrès de la médecine donnent de l’espoir aux uns,
ils donnent également des illusions à ceux qui comptent trop vite
sur le coup de pouce de la science pour concrétiser leurs rêves.
Les médecins, en effet, ne peuvent pas tout. À partir de 35-36 ans,
la courbe de la fertilité féminine chute inexorablement, rappelle
le professeur François Olivenne, alors que les femmes ont
l’impression d’être encore jeunes.
Trompeuses aussi sont les images des célébrités qui exposent
leur ventre rond à la une des magazines, laissant penser que la
maternité reste une aventure possible à tout âge. Pour
Marie-Claude Benattar, gynécologue, spécialiste de l’infertilité,
ces femmes entretiennent des illusions. «Elles ne disent pas
qu’elles sont enceintes grâce à un don d’ovocytes, ce qui
signifie que l’enfant n’est pas génétiquement le leur. À
partir de 41-42 ans, les chances de se retrouver enceinte
spontanément sont divisées par quatre. Et la procréation
médicalement assistée (PMA) a, elle aussi, ses limites : après
43 ans, le taux de réussite tombe à 1 ou 2%.»
Mieux informer les femmes sur le déclin de la
fertilité avec l’âge
En France, d’ailleurs, la PMA – dons d’ovocytes ou
fécondation in vitro – n’est plus prise en charge par la
Sécurité sociale après le 43eanniversaire, et il existe
un consensus professionnel des médecins pour ne plus en pratiquer
au-delà de cet âge. Marie-Claude Benattar met donc en garde celles
qui veulent attendre et rappelle la nécessité de mieux les informer
sur le déclin de la fertilité avec l’âge. «Aussi étonnant
que cela puisse paraître, beaucoup ne le savent pas ou font semblant
de ne pas le savoir.»
Ces maternités tardives ne sont enfin pas sans risques pour la
mère et l’enfant. «Entre 40 et 44 ans, environ 80% des femmes
peuvent espérer une grossesse normale et une issue favorable,
explique Joëlle Belaisch-Allart, chef du service de gynécologie
obstétrique et médecine de la reproduction à l’hôpital de
Sèvres. Ce qui veut tout de même dire que 20% présenteront un
risque. Soit de fausse couche et d’anomalie chromosomique en raison
de l’âge de l’ovocyte. Soit des complications liées au corps
vieillissant de la femme, avec une augmentation de l’hypertension,
du diabète et de la prématurité.»
Au-delà des risques médicaux et de celui de ne plus pouvoir
enfanter, les maternités tardives posent en outre des questions sur
le décalage des générations. Avoir des parents âgés n’est pas
anodin pour un enfant. «Cela peut provoquer chez lui une anxiété,
liée à la peur de les perdre, et augmenter, ensuite, les
difficultés de communication au moment de l’adolescence»,
souligne Myriam Szejer. Une situation également difficile pour les
parents dont beaucoup confessent une grande fatigue. Mais avoir un enfant sur le tard permet
aussi, parfois, d’aborder l’éducation des enfants avec davantage
d’expérience et de sérénité.